Julie Cortella, notice de l’exposition à l’ENSA Paris-Malaquais (2008)

A la fin des années 1960 Douglas Huebler, représentant du mouvement appelé photoconceptualisme, développa, parmi d’autres séries, celle des Duration Pieces. La photographie empruntait là son aspect conceptuel de l’obéissance à un protocole précis de prise de vue, fixé selon une mesure non pas spatiale, mais temporelle. Photographier, pour la Duration Piece # 4, Bradford, Massachussetts par exemple, une aire de jeu et les enfants qu’elle accueille à intervalles de temps réguliers ou non, dans tous les cas selon un programme établi indépendamment du sujet à photographier et appliqué avec une précision horlogique. Le point de vue se déplace ainsi non pas dans l’espace, mais dans le temps. L’exposition des clichés ne pouvait en cela se concevoir sans la présentation simultanée du protocole qui avait donné lieu aux images produites. La découpe du temps sous la forme de la mesure de la durée devait assumer la fonction d’une véritable carte ou le visible trouverait à se localiser.
Gageons que le tracé de la North Circular Road de Londres joue pour Benoît Grimbert un rôle similaire à celui de la carte temporelle pour Douglas Huebler. Il vient endosser le rôle d’un paysage rendu abstrait par sa seule fonction : la réduction des temps de parcours. La fluidité que vise toute «circulation» idéale préexiste au dessin de la route et projette ses exigences sur l’existant. La vitesse est son horizon, à la fois point de vue et point de fuite. A cette abstraction des flux temporels quantifiés, la photographie vient opposer son action de stoppage et proposer sa capacité de stockage.
Les bords du cadre sont tranchants, ils opèrent une découpe ou une trouée dans le paysage qui fuit de tous côtés, brouillé par le mouvement. Ils stoppent l’écoulement du temps que la voie à grande vitesse métaphorise littéralement, à savoir, selon l’étymologie du terme, transporte. Stoppant le flux, la photographie le contient comme mémoire, l’organise, en propose une modalité de stockage. Ces différents modes, nous les nommons images ; ils fabriquent en réalité un lieu (topos), prélevé sur les nécessités de l’urbanisme contemporain.
La photographie est ici le terme qui identifie l’image au lieu qu’elle fabrique. Elle est le siège de cette opération d’identification, le temps nécessaire à ce processus. C’est notamment ainsi, en tant que modalité d’agencement mémoriel, que la photographie peut, à l’instar de l’architecture, se déposer en trace d’une expérience spatiale et constituer un outil architectural.