Gilles Boussard, La lettre de l’Imagier n°32, Photographies millefeuille (publiée à l’occasion de l’exposition à l’ARDI, Caen)

«L’art n’est jamais un document mais il peut en adopter le style.» Walker Evans, 1917.
«Le photographe (…) devrait faire une histoire et un sens là ou les autres ne voient que des cailloux.» Olivier Lugon, 2002.
Aussi fortes soient les images de Benoît Grimbert par leur séduction, elles n’en sont pas moins des interrogations. En faisant référence à Roland Barthes, on peut dire que, généralement, l’image est regardée et surtout appréciée pour les qualités esthétiques de la chose photographiée ; la photographie elle-même étant négligée. Benoît Grimbert force la nature en choisissant des objets prétextes décalés, les installant dans des compositions telle qu’il nous implique dans l’image. L’angle de prise de vue, non convenu, le traitement délicat de la couleur et la lumière douce, le jeu du contraste et de la notion d’échelle, l’agencement des plans, le rapport à l’œuvre d’art, ces composants de l’image deviennent l’essentiel et posent question.
Vérifions-le dans la série Verso.
A l’image de Jean-Charles Langlois plaçant son appareil sur une plate-forme afin de capter, sous forme de panorama, le théâtre du champ de bataille, Benoît Grimbert s’installe dans le décors paysagé du pouvoir aristocrate, dans ces paysages imaginés que sont les jardins de Versailles. Surplombant le parc, il va démultiplier nos sensations jouant de la plongée et usant de la ligne d’horizon.
Les différents jeux d’échelles nous poussent vers des mondes ludiques et dans l’imaginaire du modélisme. Malgré notre fascination, notre œil toujours cherche à rétablir l’ordre.
Pour justement le mettre à l’épreuve, dans chaque vue, s’impose au premier plan un personnage de dos. Il obture en grande partie l’image, incongru mais indispensable. Situation troublante, nous regardons ensemble dans la même direction. Il nous entraîne ainsi à travers une habile mise en scène. L’image est la plus forte.
Dans d’autres séries de son travail, le procédé diffère mais poursuit les mêmes objectifs. Le point de fuite de la perspective placé au centre du format carré et la frontalité appuyée de chaque image permettent de penser à une configuration dite à «vol d’oiseau». Ces photographies ne procèdent pas de cet angle de prise de vue mais, de par leur composition, elles proposent à notre œil une frontalité cousine de la vue aérienne. Ce type de vue sollicitant fortement la vision, on est en présence de photographies qui, par l’interrogation de leurs formes et leur contenu, entraîne un décalage savoureux parce que non convenu.
Le panorama puis la vue aérienne transforment le monde en spectacle. Ces images, souvent séduisantes donnent à voir la planète. Manipulant le temps, la lumière, les échelles, Benoît Grimbert recherche une meilleure compréhension du territoire en posant un nouveau regard sur «le paysage».