Olivier Namias, Benoit Grimbert, Sans séduction apparente, D’A n°167, octobre 2007

Rigoureuses et austères, les images de Benoît Grimbert semblent faire peu de place à la jubilation du regard. Cette triste banalité ne serait-elle pas une forme d’ascèse destinée à révéler le paysage contemporain, sans tomber dans les pièges qui, comme le spectaculaire, en masquent trop souvent la vue ? Au fil des pages du dernier livre de Benoît Grimbert, une figure à la fois familière et lointaine revient sans cesse, fragment après fragment. Derrière les appareillages de pierre de taille bosselée, les encadrements en béton peints en blanc, les toitures régionalistes plaquées sur des « barres » à la fois trop grandes et trop petites, les murs en béton préfabriqué, l’architecte qui s’intéresse un tant soit peu à l’Histoire identifie sans mal les bâtiments de la deuxième Reconstruction, photographiés ici dans la région normande. Les images de Normandie. Paysages de la Reconstruction n’incitent pas à considérer d’un œil rigolard ces immeubles poussés sur les débris de la guerre. Sous les ciels bas et lourds sans doute chers à cet admirateur de Baudelaire, le format carré accentue le côté statique du lieu, comme pour mieux signifier que tout espoir de fuite vers un ailleurs plus accueillant est vain. Puisqu’il faut rester là, il ne reste plus qu’à regarder ce que le photographe veut nous montrer.
 
Ne pas hiérarchiser
Le vrai sujet, ce n’est pas cette architecture, aussi prégnante soit-elle, mais la ville et son paysage : « Je me sens plus un photographe de paysage que d’architecture. L’architecture m’intéresse pour autant qu’elle s’articule à de l’espace, à du vide, à d’autres éléments urbains comme le mobilier, la voiture… Le travail sur la Normandie m’a permis d’approfondir cette thématique de la sédimentation, avec ce souci de ne pas hiérarchiser les objets dans l’image, essayer que s’équilibrent les éléments purement architecturaux, les éléments d’espaces, qu’il y ait une espèce de mise à plat. » Ce goût pour la ville s’est nourri des images des films de Wenders – Alice dans les villes – et d’Antonioni, de leur manière de filmer les périphéries. Comme nombre de ses contemporains, Benoît Grimbert préfère les franges chaotiques des villes aux centres historiques bien réglés : « Le désordre des marges en fait des lieux vivants. Lorsque tout est trop ordonné, je n’arrive pas à accrocher un élément. » La composition rigoureuse permet un instant de rétablir un équilibre dans la confusion.
 
Mise en série des images
Dépouillées de tout élément spectaculaire, les images de Benoît Grimbert doivent s’apprécier comme un ensemble. « Pour la Normandie, une recherche préliminaire sur un fonds photographique des archives du ministère du MRU m’avait permis de comprendre qu’il y avait une récurrence d’un motif. Mon souci principal a été ensuite d’articuler des choses qui n’avaient pas de rapport entre elles ; l’idée, c’était de faire apparaître ce motif de la Reconstruction dans son rapport à des choses plus anciennes comme les églises, dont beaucoup n’ont pas été détruites, et des éléments du design contemporain – les voitures. » Comme au cinéma, la juxtaposition d’espaces éloignés recompose un lieu unique. Les villes de la Reconstruction se fondent en une cité générique, identifiable par la déclinaison d’une série de signes architecturaux.
Cette mise en série des images suppose une mise en condition de la scène urbaine. Les lumières sont identiques – un temps gris qui élimine les ombres et les contrastes. Les bâtiments trop reconnaissables sont laissés hors champ, évitant au regard d’être capturé par un objet trop présent. Enfin, le côté tranches de vie et l’allusion historique sont bannis. « Je n’ai pas la démarche d’un institutionnel, qui voudrait à travers la Reconstruction évoquer les bombardements… Mon travail ne parle pas de la guerre, il parle du paysage en 2007. »
Après la Normandie, Benoît Grimbert a commencé une nouvelle série sur un périphérique de Londres, la North Circular Road. « La route est le prétexte ; l’idée est de montrer différentes situations urbaines traversées par cette route – à la fois des zones commerciales, industrielles, des friches… Sans choisir les points de vue mais pour montrer des points de vue un peu génériques qui rendent compte de cette variété urbaine. »
La démarche se revendique plus du champ de l’art contemporain que de la photographie pure. On peut le comprendre en voyant le résultat : selon le propre aveu de Benoît Grimbert, rien ne retient l’œil dans ces photographies. Elles ne prennent leur sens que l’une à la suite de l’autre. Peut-être une façon de ne plus fabriquer des icônes qui finissent par figer le regard dans des représentations sclérosées.