Didier Mouchel, Normandie, paysages de la Reconstruction. Une résidence d’artiste du photographe Benoit Grimbert, in L’Album de la Reconstruction, Musée de Louviers, 2006, pp. 59-63

L’idée d’une résidence photographique sur le thème de la Reconstruction des villes de Normandie après la Seconde Guerre Mondiale correspond, outre l’implantation de nos centres photographiques en Haute et Basse-Normandie, à notre projet commun de parcourir la notion de territoire. Cette notion prend ici tout son sens quand, particulièrement touché par ce conflit au point d’en porter aujourd’hui les stigmates, notre région a connu de profonds bouleversements de ses sites et paysages, particulièrement dans les villes. La Reconstruction apparaît dans l’espace urbain comme une strate du paysage, un moment fort par rapport auquel la ville semble se réfléchir. Ceci est particulièrement visible après cinquante années d’existence de ces espaces urbains qui nécessitent aujourd’hui réfection ou requalification.
Avec le photographe Benoît Grimbert, il ne s’agissait pas de réaliser un travail technique ou documentaire sur la reconstruction en Normandie, mais bien plutôt d’opérer une approche formelle et sensible des territoires reconstruits à partir d’une visée documentaire que justifie l’aspect descriptif de la photographie. Celle-ci, chez Benoît Grimbert particulièrement, comme chez beaucoup des tenants actuel du renouveau de la photographie documentaire, répond à la nécessité de confronter le réel au cadre et à la composition par l’enregistrement ordonné d’espaces choisis pour leur répétition ou leur forte présence d’une ville à l’autre. Moins focalisé sur l’objet architectural reconstruit que sur la manière dont il s’ordonne aux autres strates de la ville, la proposition artistique et photographique de Benoît Grimbert invite ainsi à découvrir des tableaux urbains débarrassés d’emphase ou d’anecdote. Un parti pris de neutralité domine cet ensemble photographique avec l’homogénéité de la lumière, les prises de vue réalisées à hauteur d’œil depuis la rue et la présence du sol comme liaison entre les différents espaces.
La question de l’équilibre entre urbanisme et architecture, si cruciale à l’époque de la Reconstruction en France avec l’importance des réseaux de circulation, des remembrements ou des choix architecturaux collectifs ou individuels, trouve dans ces photographies toute sa justification. Longtemps considérée «sans qualité» architecturale, cette reconstruction des villes normandes pour modeste et discrète qu’elle soit, malgré les exemples majeurs que constituent Le Havre, Caen, Saint-Lô ou Caudebec-en-Caux, illustre l’incidence du politique et des contraintes extérieures sur les préoccupations formelles. Le «style» de la Reconstruction traduit la mainmise du pouvoir politique centralisé du Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme (1944-1958) sur les schémas administratifs et techniques qui ont conduit à une certaine uniformité (rejet du modernisme au profit du régionalisme, prédominance des réseaux techniques, etc.). Malgré cela, l’imbrication des formes et des espaces, si propices aux constructions photographiques et aux démonstrations visuelles, est aujourd’hui l’enjeu d’une reconnaissance patrimoniale ; le classement récent de la ville du Havre sur la liste de l’UNESCO en est un bon exemple. Ce travail espère attirer l’attention sur ce patrimoine encore ignoré. L’apport d’un artiste est souvent celui d’un éclaireur, il focalise un sujet pour le donner à voir et la forme choisie vaut comme signification.