STAINS

INFO

STAINS [2011]

 
Pierre, Feuille, ciseaux, a book with a selection of images from that series and a text by Maylis de Kerangal was published by Le Bec en l’Air Editions/Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis. With the support of the Fondation Culture et Diversité.
 
Stains – Pierrefitte-sur-Seine – Saint-Denis. Au croisement de ces trois villes, le site d’implantation du nouveau bâtiment des Archives nationales. Alentour, un tissus urbain hétérogène et fragmenté – habitations ou terrains maraîchers, logements individuels et collectifs, cité-jardin ou cité de tours, friche à la végétation folle ou vélodrome suspendu à un temps incertain. Un espace néanmoins organisé, où chaque parcelle vit et se développe selon sa logique propre, et où le paysage s’ordonne distinctement depuis une multitude de points de vue uniques, et selon des cadrages spécifiques.
Dans le paysage, des figures, habitants des lieux ou quidams de passage, absorbées dans leur geste ou leurs pensées, ignorantes de l’opérateur – le photographe. En lieu et place d’un vis-à-vis univoque, une distance autorisant l’équivoque, et ouvrant à la polysémie des gestes et des corps (fiche de l’exposition aux Archives nationales, 2012).
 
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Vue d’exposition, Archives nationales, Paris, Hôtel de Soubise
 
Mémoire d’avenir #7 (Journal des Archives nationales) – Entretien
 
Comment a germé l’idée d’une exposition de photographies sur Stains, Pierrefitte et Saint-Denis ? Quelle est l’origine du projet ?
L’origine de ce travail photographique est l’atelier chorégraphique « Mon corps, mon lieu » (Rencontre chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis), qui en 2010-2011 a pris place à Stains, à proximité du site d’implantation du nouveau bâtiment des Archives nationales à Pierrefitte-sur-Seine – d’où le lien qui s’est d’emblée constitué entre cet atelier et les Archives. Mené par le chorégraphe Thierry Thieû Niang, il s’appuyait également sur la participation de l’écrivain Maylis de Kerangal. Au terme de cet atelier s’est d’abord dessiné un projet de livre, comprenant un texte de Maylis, ainsi que mes photographies : Pierre feuille ciseaux (Le Bec en l’Air/Rencontres chorégraphiques – co-éditeurs). Cette exposition présente le volet photographique in extenso, faisant la part belle aux portraits des adolescents associés au projet. Son titre (et sous-titre) renvoient à ce qui fédère et soutient l’ensemble des photographies de la série, à savoir un territoire : celui de l’atelier (Stains), et simultanément celui des Archives, au croisement des trois villes mentionnées dans le sous-titre.
 
Quel est le fil conducteur de cette exposition ?
Précisément ce territoire, dans toute sa diversité. Ce qui m’a en effet intéressé dans l’espace environnant le site des Archives, c’est qu’il n’est pas du tout homogène, accueillant des entités et des activités urbaines distinctes et clairement identifiables : des jardins familiaux, du logement individuel ou collectif, des espaces de maraîchage, des friches urbaines ; l’une d’entre elles, le
« champ », occupe une place particulière dans le texte de Maylis, comme également dans mes photographies puisqu’il constitue le principal « décor » dans lequel stationnent ou se déplacent des figures humaines. On trouve aussi, dans ce territoire morcelé, un ensemble architectural fameux : la cité-jardin de Stains, construite entre 1923 et 1931, initialement conçue pour accueillir les familles des ouvriers travaillant dans les usines environnantes. A quelques centaines de mètres des Archives encore, se trouve un équipement sportif tout à fait intéressant, le vélodrome de Saint-Denis, datant de 1925 ; deux photographies du livre et de l’exposition s’y réfèrent explicitement. Comme évoqué précédemment, j’ai néanmoins souhaité ne pas limiter mon attention exclusivement au territoire, et inclure dans les vues paysagères qui caractérisent habituellement mon travail des habitants et des usagers de ces lieux, en l’occurrence des élèves de l’un des établissements scolaire associé à « Mon corps, mon lieu », le lycée Maurice Utrillo de Stains. A cet égard, l’approche chorégraphique de Thierry Thieû Niang, comme aussi certaines pistes textuelles proposées par Maylis dans le cadre de l’atelier, ont certainement contribué à orienter la manière dont j’ai photographié ces lycéens, saisis dans des postures et des gestes qui leurs sont propres.
 
Quel était votre rapport au territoire et aux jeunes avant que vous les photographiez et quel est-il aujourd’hui ? Votre regard a-t-il changé ?
Je suis né à Mantes-la-Jolie, dans les Yvelines, dans une cité (le Val Fourré) comparable par bien des aspects à la cité du Clos Saint-Lazarre de Stains. J’ai ensuite passé mon enfance et mon adolescence à proximité de cette cité, dans des paysages forts semblables à ceux qui égrènent cette série. C’est donc avec un sentiment de familiarité que j’ai exploré ces lieux. Concernant précisément les jeunes, il m’importait avant tout de les photographier dans leur singularité, et sans a priori, c’est-à-dire notamment sans projeter sur eux certaines représentations parfois associées à ce type de territoire. C’est pourquoi aucune « situation » ou « action » spécifique n’est ici figurée. L’idée était d’éviter toute surdétermination par des images préconçues, et, si je puis dire, de laisser « parler » les corps.
 
Comment s’est traduit le lien avec les Archives nationales dans vos photographies ?
Comme je l’ai dit, les Archives, leur site et leur bâtiment constituent un des centres de gravité de cet ensemble photographique – et là encore, du texte et du livre en général. Une photographie, que je considère comme centrale dans cette série, pointe le bâtiment en cours de construction. S’il eût sans doute été redondant de le représenter de manière aussi directe une autre fois, il n’en reste pas moins présent dans le hors-champ de nombre de photos ; pour reprendre l’exemple du vélodrome, celui-ci n’est ici présent sous forme photographique que parce qu’il jouxte le site du nouveau bâtiment.
D’une manière plus transversale et plus discrète, la question de l’archive traverse le travail photographique en tant que tel : que choisit-on de montrer, de conserver (au moyen de
l’image), d’un territoire, d’une ville, de ses habitants ?